Lorsque le grand Tamperelli se produisit à Munich, à la fin du XIXe siècle, avec son spectacle « Theophon, l'Automate parlant », celui-ci n'imaginait pas qu'il allait enflammer l'esprit de deux étudiants originaires de Francfort-sur-le-Main, David Elias et Arthur Scherbius. Ensemble, ces deux jeunes amis projetèrent de fabriquer une machine qui serait douée d'une expression autonome et imprévisible, le Profator. David Elias en conçut le principe, et les compétences et les connaissances d'Arthur Scherbius en mécanique électrique (particulièrement celles des rotors à mouvement non synchronisés) furent mises à profit pour concrétiser la machine.
En 1896, les deux amis firent un prototype du Profator, sorte de machine à écrire qui composait toute seule des textes, dans un style métaphorique unique, qu'ils mirent au point et développèrent constamment, en en réduisant l'encombrement jusqu'à la taille d'une mallette. La machine ne connut aucune diffusion commerciale, mais les principes découverts par Elias et Scherbius servirent de base aux machines à chiffrement que Scherbius construisit et distribua, une vingtaine d'années après, et qui, à partir de 1918, eurent un grand avenir, quand il mit sur le marché sa fameuse machine Enigma, qui sera longtemps la référence en matière de machines cryptographiques.
Séparés pendant de longues années après la décision de David d'émigrer aux États-Unis, les deux amis restèrent néanmoins en contact épistolaire constant jusqu'à la mort — accidentelle ? — d'Arthur en 1929, à l'âge de 51 ans.
Peu de temps après son arrivée aux États-Unis, au cours de l'année 1904, David Ellis reçut une lettre d'Arthur Scherbius lui annonçant qu'il avait l'idée d'un nouveau système de cryptage, dont il voulait discuter avec lui. Au fil de leur correspondance, les deux amis mirent au point la méthodologie et la mécanisation du procédé — procédé qu'ils baptisèrent Intercrypt. Pour tester le système, ils commencèrent à l'employer dans leur propre correspondance ; il purent ainsi perfectionner leur algorithme de chiffrement et l'amplifier au fur et à mesure.
Mais comment transmettre les clefs de l'un à l'autre en toute sécurité ? Au début, les clefs étaient dissimulées graphiquement dans un micropoint, méthode qui sera utilisée pendant la Seconde Guerre mondiale sous le nom de micropoint de Zapp. Mais le procédé coûtait cher et n'était guère fiable : les clefs pouvaient très bien être repérées par des espions un peu perspicaces. De ce problème naquit l'idée d'un générateur de clefs, qu'ils nommèrent Janus, facile à mettre en œuvre, et que chacun pourrait utiliser de son côté : ils développèrent Janus à partir de l'algorithme du système Intercrypt lui-même. Après les premiers tâtonnements, la communication entre Ellis et Scherbius réussit à s'établir sans difficulté : chacun put alors générer sa clef du moment sans avoir besoin de la communiquer à l'autre, l'autre pouvant la générer à l'identique. L'apparence aléatoire des clefs générées par Janus, leurs longueurs et leurs changements quotidiens leur permirent, à la manière du procédé du masque jetable, de rendre leurs cryptogrammes indéchiffrables... Les messages étaient d'ailleurs régulièrement interceptés — mais jamais déchiffrés ! — par une organisation occulte qui, décidément, était de plus en plus intéressée par le système, au point d'en exiger l'exclusivité !
Aussi, à l'annonce de la mort de son ami, David Ellis ne crut jamais en la thèse de l'accident. Selon lui, son ami se savait espionné depuis longtemps ; des plans lui auraient même été dérobés, mais, heureusement, ils étaient inutilisables en l'état. Arthur Scherbius se doutait bien qu'une certaine organisation para-militaire, qui craignait que les derniers modèles tombent dans la main de tout le monde, voulait s'emparer des plans des nouvelles machines.
Il se trouve que la quasi-totalité des lettres échangées à cette époque entre David et Arthur étaient cryptées avec le procédé Intercrypt, ce qui laisse à penser que les deux amis avaient de forts soupçons sur l'identité des personnes qui espionnaient leurs travaux. Il était évident qu'Arthur craignait pour sa vie.
Le dernier message d'Arthur, daté du 8 mai 1929, nous permet de penser qu'Arthur Scherbius aurait mis en scène sa propre mort pour échapper à une organisation occulte. On sait que Scherbius était membre de la société théosophique. Par l'entremise de cette société, Scherbius se serait réfugié chez une adepte suisse, à Lausanne. Voici le contenu de la lettre :